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  • Photo du rédacteurCaroline Farley

Les limites

Quand j’étais adolescente, j’avais créé ma propre citation qui m’inspirait au quotidien : « Les limites sont faites pour être dépassées. » Sans en être consciente, c’est ce credo, profondément ancré en moi, qui allait à la fois me permettre d’atteindre de grands objectifs et courir à ma perte. Ça m’a pris des années avant de le réaliser.


Se dépasser par le sport La toute première fois où j’ai dépassé mes limites, j’avais presque 16 ans. C’était lors du Championnat régional de cross-country (course en sentier) qui se tenait à Val-d’Or en 1996. Cette année-là, c’était MA chance de me qualifier pour le Championnat provincial. J’étais une coureuse ordinaire, je le suis toujours d’ailleurs, qui performait bien sans être dominante. La répartition des catégories jouait en ma faveur et je le savais. Je ne voulais pas passer à côté de cette occasion en or.

Ligne de départ d'une course de cross-country. Je suis la 2e à gauche.


Je me suis donc entraînée avec discipline et sérieux pendant tout l’été et l’automne dans l’espoir de représenter ma région, l’Abitibi-Témiscamingue, lors du provincial. Les entraînements en côte et lors des chaudes soirées d’été ont été payants; je faisais mes meilleurs temps à vie. J’étais dans une excellente forme physique et mentalement, j’étais prête à souffrir et à donner tout ce que j’avais pour me qualifier.


C’est donc avec cette attitude que j’ai pris le départ du 4 km de la catégorie juvénile, sous le regard attentif de mes coéquipiers et de ma parenté de Val-d’Or qui était venue m’encourager. Dans ma mire, il y avait Martine Gervais. Martine, c’était LA coureuse dominante. Je me disais que si je la suivais, j’allais me qualifier moi aussi. J’ai donc couru à ses trousses pendant les deux premiers kilomètres qui se déroulaient sur un parcours sablonneux. Ce n’est pas le type de terrain habituel pour une course en sentier et j’y ai perdu beaucoup d’énergie. Heureusement, ma stratégie fonctionnait; j’étais bonne 2e, tout juste derrière Martine.


Nous avons entamé la 2e moitié du parcours en entrant (enfin) dans un boisé où c’était moins exigeant physiquement. Soudainement, j’ai commencé à voir des points noirs. Ma vision était un peu floue et Martine me distançait peu à peu. Mais ce n’était pas grave, je ne voyais personne derrière moi. Je me visualisais déjà avec ma médaille d’argent au cou; j’étais en train de réaliser mon objectif. Cependant, plus les mètres passaient, plus ma cadence ralentissait. Mes jambes et mes poumons brûlaient, je me sentais étourdie mais je savais que la course tirait bientôt à sa fin. Il me fallait simplement tenir le coup.


Quand je suis sortie du boisé et que j’ai vu des spectateurs applaudir, je savais que la ligne d’arrivée se trouvait derrière le petit buton. C’était le moment du sprint final. Derrière moi, j’ai senti quelqu’un me rattraper. C’était ma coéquipière Maude. J’ai tenté d’accélérer pour conserver ma 2e place mais mes jambes m’ont lâchée et je me suis étendue de tout mon long. Voyant mes genoux et mes mains en sang, Maude a voulu m’aider à me relever. Je lui ai dit de continuer de courir, de finir la course sans moi. Mon corps était tout mou et j’étais dans les vapes. Il n’y avait rien à faire, j’étais incapable de me relever.


Quand j’ai repris conscience, j’étais sur un quatre roues qui m’amenait dans l’ambulance sur place. J’étais en hyperventilation. On m’a donné les premiers soins pour que je retrouve une respiration normale.


Allongée sur la civière de l’ambulance, en fixant le plafond, j’ai réalisé que j’avais dépassé mes limites. Et à cause de ça, je n’irais pas au Championnat provincial. Obsédée par mon objectif, je n’avais pas écouté mon corps, ni respecté mes limites. En « courant après » Martine, j’avais suivi son rythme et non le mien. Quelle erreur de débutante…

Cet échec m’a beaucoup marquée et fait réfléchir. C’est le sport qui m’a développée et formée comme personne. Depuis mon entrée au secondaire, c’est la philosophie sportive et de dépassement transmise par mes entraîneurs de volley-ball, de cross-country et d’athlétisme qui me guidait. Ça m’avait toujours bien servie mais lors de ce championnat régional, j’ai oublié la base. Je n’ai pas écouté mon corps.


Ça été très difficile de réapprendre à courir après cet incident. J’avais toujours peur de dépasser à nouveau mes limites. Heureusement, mon coach Sylvain était à mes côtés pour me donner confiance et me guider. Peu à peu, le plaisir de courir a repris le dessus sur la peur et un an plus tard, j’ai franchi la ligne d’arrivée de mon quatre kilomètres, sur mes deux jambes et en sprintant!


Elle est où la ligne?


C’est tellement complexe de savoir où se trouvent nos limites. Il n’y a pas de ligne au sol qui nous indique qu’au-delà de cette zone, on va dépasser nos capacités. Ce serait tellement plus simple si ça fonctionnait comme ça.


Étant quelqu’un qui cherche toujours à s’améliorer, j’ai l’impression de « flirter » régulièrement avec mes limites, mais pas toujours consciemment. Dans des petites choses banales de la vie, comme dans ma façon de vivre. Je me teste souvent, pour voir si je peux aller plus vite, plus haut, plus loin, plus longtemps.

Pour vous donner une idée, voici le genre de défis que je me suis donné au cours des dernières années :

- Faire 40 push-up et 100 redressements assis par jour pendant un an;

- Faire Montréal-Gaspé à vélo en 7 jours;

- Nager du chalet de mes parents jusqu’à l’île située en face (une distance aller-retour d’environ 2,5 km) alors que je ne savais pas nager…;

- Faire des triathlons;

- Faire des randonnées pédestres de plus de 60 km en autonomie;

- Mon prochain défi sportif : faire une course en sentier de 25 km;


L’adrénaline que ça me procure me fait tripper! Quand ça fonctionne et que j’atteins de nouveaux sommets, de nouveaux objectifs, je me sens tellement en vie! En franchissant un nouveau cap, ça m’ouvre la porte à de nouveaux horizons à conquérir et ça me permet de développer mon plein potentiel. De ne pas stagner dans la vie.


Mais pourquoi j’ai toujours envie et besoin de me dépasser? Pourquoi je ne me contente pas de ce qui est? Pourquoi je me pousse toujours à aller au bout de moi? Après quoi je cours? Je ne le sais pas vraiment. Je pense que je suis juste comme ça.


Chaque fois que je me pose la question, et c’est souvent quand je dépasse mes limites que je me la pose, j’en reviens toujours à penser que c’est parce que je veux réaliser le maximum de rêves, de défis, de projets et d’objectifs avant de mourir. Ça me ramène encore et toujours à ma peur de mourir jeune et à l’urgence de vivre qu’elle crée en moi. Si seulement quelqu’un pouvait me dire que je vais mourir à 88 ans, par exemple, je pense que ça m’apaiserait et que je me calmerais un peu les nerfs avec les défis et ce besoin de me dépasser.


Tout en même temps


J’ai longtemps eu l’impression que je pouvais tout faire ou presque. Et tout en même temps en plus! Je sais, c’est fou parce que c’est totalement irréaliste. Mais en éternelle optimiste, je pense toujours que je peux y arriver et que je vais trouver une façon de tout faire « fitter » dans mon horaire. De trouver du temps pour tout et pour tout le monde. Je semble parfois oublier qu’il y a seulement 24 heures dans une journée et que là-dedans, il faut que je travaille, que j’élève ma famille, que je prenne du temps pour mon couple, pour moi, pour mes amis, pour bouger, etc.



Ça fait beaucoup parfois. Et quand l’une de mes sphères de vie déborde, c’est tout mon équilibre qui est affecté. C’est ça le défi d’aujourd’hui : concilier sainement nos différentes sphères afin d’avoir une vie nourrissante et épanouie. L’équilibre est si fragile, la ligne est tellement mince…


Quand mes filles étaient plus jeunes, je disais souvent que nous étions à un rhume ou à un virus du déséquilibre! En travaillant tous les deux à temps plein, avec nos familles à l’extérieur, toutes les solutions reposent sur mon chum, que dis-je mon mari (!!!), et sur moi. Cette absence de marge de manœuvre ajoute une certaine pression au quotidien. Et plus on a d’enfant, plus on se « met dans le trouble »! ;-) Mon ami David dit souvent que les gens intelligents ont deux enfants, pas trois. Il a trois enfants! Et nous aussi!

La quête de l’équilibre


J’ai l’impression que dans cette quête de l’équilibre, on part malheureusement avec deux prises. Comment être en équilibre quand on travaille cinq jours et qu’on a deux journées pour se reposer, se divertir et faire tout le reste? C’est presque un exploit quand on y parvient.

C’est peut-être ce qui explique pourquoi certaines personnes sont plus raisonnables que moi et ont une vie moins mouvementée. Ils font des choix que longtemps, je n’ai pas réussi à faire. Ils limitent leurs activités, ils ne s’éparpillent pas, ils ne surchargent pas leur horaire, ils se donnent des temps libres et des moments de repos.


Il m’a fallu deux burn-out pour le comprendre et même encore, c’est une quête constante. Ce n’est pas naturel chez moi. J’ai toujours le goût de me mettre au défi, de me tester, de voir si je pourrais faire plus. D’ailleurs, mes proches savent qu’ils ont juste à me dire « T’es pas game! » pour que je fasse à peu près tous les défis qu’ils me proposent.


Mais maintenant, à 41 ans, j’ai davantage envie de faire mieux plutôt que plus. Et pour y arriver, je devrai peut-être apprendre à en faire moins. Ne dit-on pas « less is more » et « less is better »? Je suis dans ce genre de réflexions actuellement[1].


C’est ça mon prochain défi. Apprendre à faire des choix, en sachant très bien que choisir, c’est renoncer. Et ça, je trouve ça difficile. Au fond de moi, je crois que je lutterai toujours contre cette envie de tout faire, de tout essayer et de saisir toutes les occasions qui se présentent à moi.


Mais je n’ai pas envie de me brûler à nouveau et de dépasser mes limites. Ça été long avant que je réalise la différence entre « dépasser ses limites » et « repousser ses limites ». Contrairement à ce que je croyais quand j’avais 16 ans, on ne gagne pas quand on dépasse nos limites. Par contre, je crois qu’on peut s’améliorer et grandir si on repousse petit à petit nos limites, de façon saine et raisonnable. C’est mon pari.

[1] Le livre Essentialism de Greg McKeown m’a d’ailleurs beaucoup inspirée à cet égard.

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